« Le Fils de Dieu est au fond de l'âme comme une source d'eau vive. »
ORIGÈNE 185-253, qui inspirera Thomas d'Aquin, Grégoire de Nazianze et Erasme.
Triacastela Sarria
21 septembre - 24 kilomètres
Triacastela, igrexa de Santiago et rúa peregrino
(en galicien dans le texte)
Premier matin en Galice ! Même le climat a changé radicalement. Il fait assez frais et un brouillard dense occulte une bonne partie des alentours. Ce sera également le cas pour les matins suivants. Autre changement, celui-ci très négatif, plus de tortillas dans les bars le matin ! Or, cet aliment éminemment ibérique était devenu l'ingrédient incontournable de nos matinées, au petit-déjeuner ou plus tard de nos petis en-cas en milieu de matinée. Énergétiques et souvent délicieuses ces tortillas, chaudes, tièdes ou froides.
Je dois me rendre au centre de Santé, près de mon lieu d'hébergement. J'y arrive à l'ouverture, à 9H00. Accueil sympathique sinon chaleureux. Ma carte de Sécurité Sociale Européenne m'est demandée ainsi que ma carte d'identité. Je serai reçu par une jeune femme efficace et cordiale qui me ramène une quarantaine d'aiguilles adaptées à mon stylo, aiguilles qu'elle me remet gratuitement. J'invite mes futurs émules à ne surtout pas oublier ce sésame qu'est la Carte Européenne d'Assurance Maladie.
Je repars dans le brouillard. Ce matin, c'est Chemins ! Je marche seul au départ, puis je rencontre Lisa, une habitante de Saint-Louis au Missouri avec qui je vais vite sympathiser !
Très loquace je vais rapidement tout savoir quant à sa famille, ses amis, ses maris, son parcours, Elle travaille à Madrid comme professeur d'Espagnol auprès d'étudiants États-Uniens en séjour dans la capitale ibérique. Elle me fait penser à l'Oracle dans le film Matrix, mais en version caucasienne. Souriante, très chaleureuse, elle est apaisante, a des idées, de bonnes idées dans pas mal de domaines et une forte propension à vouloir deviner la capacité d'individus des deux sexes à s'apparier, même si elle n'a pas une très bonne opinion de la gent masculine, expériences personnellles à l'appui.
Nous allons donc marcher côte à côte pendant cette journée.
Plus que 130 kilomètres
Une pécadille !
LISA
Aujourd'hui, chemins agréables et petits bosquets galiciens d'où l'on s'attend à voir surgir Merlin, une bande d'elfes rieurs, une nymphe au saut du lit ou un centaure effarouché. Aucun ne se montrera ! Quelques petites côtes civilisées pour mettre en jambe. Je n'aipas un souvenir très clair de cette matinée ! Bizarre ! La longue conversation entretenue par Lisa a dû trop accaparer mon attention ce qui a probalement relâché ma vigilence à l'endroit des paysages que nous traversions. Si, eu regard des photos ci-dessous, j'ai tout de même quelques flashes. La mémoire est étrangement sélective !
Je me souviens tout de même que nous nous sommes arrêtés en mileu de matinée dans un bar à tapas au sommet d'une colline, bar dont le nom était .... Casa do Franco !!
Très surprenant, une décoration faite de centaines de coquilles, de cartes et autres petits objets laissés là par des pèlerins. Le père du propriétaire, très couleur locale, avec de petits yeux malicieux, allant probablement vers ses 85 ans, est attablé devant une assiette qu'il a vidée et un verre d'alcool... qui ne doit pas être le premier. C'est peut être lui le centaure car son comportement à l'endroit des pèlerines de passage est extrêmement chaleureux. Il embrasse étroitement toutes celles qui partentn qui acceptent de bonne grâce ! Je ne comprends pas le tiers de ce qu'il dit.
Quand je demande au propriétaire s'il a un bon rioja rouge, ce qui est rarement le cas dans ce type d'établissement, il me demande avec un sourire aussi malicieux que les yeux de son père si je préfère un Crianza ou un Reserva....
Alors là, je suis bluffé !! Les deux catégories sont des rioja de bonne qualité pour le premier et de très bonnes qualité pour le second, la distinction étant le nombre d'années et le temps de vieillissement en fûts. Je ne sais plus... décidemment, si Lisa m'accompagne pour la dégustation d'un excellent Rioja rouge Reserva auquel je fais honneur avec deux grands verres autour de quelques tapas. L'étape n'est pas trop longue ni trop difficile, alors pas de problème !!l
Quelques kilomètre plus tard, une rencontre va me bouleverser le fond du coeur, et ce pour le temps qui me reste à vivre sur cette planète.
La première fois que nous abordons Yu-Xin, elle connait déjà Lisa et nous échangeons quelques politesses habituelles de pèlerins.
Plus loin nous retrouverons Yu-Xin dans un endroit assez exceptionnel. Arrivant à un carrefour, face à nous, une maison est grande ouverte aux pèlerins. Ils peuvent y trouver gratuitement ou contre contribution libre, boissons naturelles, fruits frais, nourritures terrestres en tous genres, et sessions de yoga et de méditation. Le propriétaire a voyagé et vécu en Inde. Nous aurons une trop brève conversation au sujet de la spiritualité trois fois millénaire de ce sub-continent, creuset des expériences pratiques de dépassement de l'état d'humain adulte «normalisé» auquel nous nous limitons en occident.
Pourtant, depuis Origène et les premiers chrétiens d'orient en Syrie et en Egypte, jusqu'à Ignace de Loyola sous d'autres cieux et en d'autres temps (CF ses exercices spirituels qu'il qualifie de motions), des pratiques comparables ont été capitales pour leur ouverture à Celà - ou Celui - qu'ils nomment «Dieu». Grégoire de Nazianze ne disait-il pas à ce propos : « C'est bien de parler de Dieu, c'est mieux de se purifier pour le connaitre vraiment » ? Grégoire défendra à ce propos, lors du concile de Constantinople en 381 l'incapacité fondamentale pour l'intelligence limitée de l'homme de pouvoir définir ou même tenter de décrire la nature de Dieu. En celà il s'oppose aux théologiens qu'il qualifie de sophistes. Pour lui, et j'en suis totalement d'accord, seule la contemplation par la méditation peut permettre l'ouverture nécessaire à Sa «connaissance», et même là les mots sont bien insuffisants.
Yu-Xin
Sentier galicien
Après un séjour reposant dans ce lieu de partage éclairé, nous reprenons la petite route qui nous mène doucement vers Sarria.
Nous faisons alors sentier commun, le long de la route avec Yu-Xin, qui nous raconte sa vie au centre de la Chine continentale, avec un père policier et une mère dans l'administration, enfance pas facile !
Il y a quelques années, elle rencontre un groupe de chrétiens et participe à leurs réunions.
Un jour, la Foi lui tombe littéralement dessus comme un éclair, une véritable illumination.
Depuis ce jour, elle diffuse une magnifique bienveillance autour d'elle.
Son histoire nous a tellement émerveillés que nous lui tombons dans les bras. Elle nous prend par la main l'un après l'autre (Lisa) pour nous dire à l'un puis à l'autre, tout en marchant, une prière à l'intention de chacun en bon français pour moi, en anglais pour Lisa. J'en suis infiniment bouleversé, la présence qui accompagne le pèlerin, présence dont j'ai déjà parlé, se manifeste immensément à cet instant.
Désormais je SAIS intimement que nous ne sommes pas seuls dans notre minuscule coin d'univers, ou de «multivers» comme le suppose brillamment Monsieur Luminet, astro-physicien de son état.
Nous sommes beaucoup plus que le petit homuncule qui se manifeste, tel le grain de sable qui se croit plus malin que le désert, parce que nous participons que nous le voulions ou non à «quelque chose» qui nous dépasse infiniment et dont nous sommes partie intégrante, totalement. Nous y sommes connectés et cela nous guide à chaque instant. Les chrétiens l'appellent Providence mais tous les mots ou concepts qui y ont été associés aux cours des âges et des cultures sont bien insuffisants y compris ce que j'en écris maladroitement à cet instant même. Cela se manifeste à travers nous par une bienveillance absolue à l'endroit de tous les êtres et du monde qui nous englobe, et de nous-mêmes qui n'en sommes aucunement séparés.
Yu-Xin est une lumière irradiante qui m'a révélé cette évidence, comme les maîtres Ch'an du bouddhisme chinois transmettaient leur illumination de coeur à coeur en un instant.
Merci infiniment, Yu-Xin !
Le Dieu des chrétiens doit avoir beaucoup d'humour pour parler au coeur d'un agnostique occidental par l'intermédiaire d'une jeune chinoise issue de l'Empire du Tao et de l'iconoclastie des écoles bouddhistes qui me parlent le mieux.
C'est à cet endroit, sur le chemin à droite, que Yu-Xin nous a bouleversés en ce magnifique 21 septembre
Après ce moment de grâce - je ne trouve pas d'autre mot qui convienne - nous continuons notre chemin, passant près d'un camping où je retrouve le groupe des Français du sud-ouest en camping-cars, toujours aussi accueilllants et joviaux. Puis c'est l'entrée dans la ville de Sarria, qui ressemble malheureusement à toutes les entrées de ville, sans aucun charme ! Sarria est une ptite ville de 13.000 habitants.
Sarria est à environ 11 kilomètres de Santiago. C'est donc la ville la plus proche des 100 kilomètre minimum requis par les autorités ecclésisatiques de Saint-Jacques pour accorder la fameuse Compostela aux marcheurs et aux cavaliers. Par voie de conséquence une multitude de prétendants débutent ici leur pérégrination. Voila qui change radicalement la nature du chemin jusqu'à Saint-Jacques. Ce n'est plus un plèlerinage, c'est une procession d'individus et de groupes arrivant ici en voiture, en autocar, ou en train. Il y en a de partout, groupes de Coréens, d'Espagnols bien sûr, de Philippins, d'Etats-Uniens, etc... Les fameux turigrinos comme nous les appelons avec un brin de condescendance..... bienveillante cependant. Des centaines de pèlerins déambulent à travers la ville et occupent tous les bars du centre. J'imagine la cohue pendant les mois de juillet et d'août !
Malgré tout, je vais être le seul occupant d'un dortoir de l'albergue où je vais dormir en plein centre.
Mais avant cela, je me suis arrêté à l'arrivée au centre-ville sur la terrasse d'une bar avec un petit groupe de pèlerines, des vrais de vrais, originaires des Etats-Unis, du Canada et d'Allemagne. C'est là que je rencontre notamment celle qui va devenir ma Viking, Barbara, qui vit à Hambourg, de nationalité Allemande mais d'origine Polonaise par son père, je crois.
Une grande blonde solide avec tresse sur le côté, un air altier et conquérant, qui semble juste descendue du Wallalah pour, telle une Walkirie compatissante, daigner faire un bout de route avec nous, pauvres mortels.
Nous sympathisons immédiatement et décidons de dîner ensemble avec Yu-Xin et Lisa.
Le dîner aura lieu sur la même terrasse. Si Yu-Xin se contente de très peu, Barbara est une bonne vivante. Elle fait honneur aux plats et au vin, aux vins devrais-je dire. Lisa également !
Fin de l'étape N°8
Viking