Ponferrada Villafranca del Bierzo
18 septembre - 22 kilomètres
Camino Francès > Étape Numéro 5
« Toute quête est une blessure » (explications en bas de page)
Mazu Daoyi (8ème siècle - École ch'an du bouddhisme chinois)
Une vision particulièrement originale, voire ésotérique, du pèlerinage.
L'avenida de Galicia, à partir du centre de Ponferrada, ce sont près de 10 kilomètres urbanisés en ligne droite et sans aucun intérêt . Ponferrada, une ville de 70.000 habitants, est le leader mondial de la fabrication et de la commercialisation d'ardoises pour couvertures. Cette industrie emploie près de 7.000 personnes. Par ailleurs, en tant que comarque (subdivision ibérique d'une région, qui peut se traduire par comté ou canton) du Bierzo, Ponferrada est au centre du négoce des vins de cette vallée entourée de montagnes. Les vins du Bierzo, de belle qualité, peu connus en France, sont exportés en Allemagne et aux USA. Elle compte également des cimenteries, des industries alimentaires de charcuteries régionales, avec notamment la vente de botillos, un peu d'élevage, la production de châtaignes, de poires conférence, de pommes reinettes et de poivrons.
En marchant, je rattrape un autre marcheur avec sac à dos, qui s'avèrera ne pas être un pèlerin mais un SDF français à la recherche de travail dans les vignes. Il est parti ce matin de Ponferrada mais va vite se rendre compte qu'il est difficile de rencontrer des employeurs potentiels un dimanche.... Prénommé Itinui, il est d'origine Tahitienne, sa famille vit en France et il navigue à travers l'Espagne depuis 2 ans. Il me fait part de la difficulté de vivre dans ces conditions. Il aimerait je crois, revenir à une vie plus stable et mieux intégrée. Je lui offre un petit-déjeuner et nous marcherons de concert jusqu'à Cacabelos (sic !), le prochain bourg sur le chemin.
Il entre dans un bar où on lui a dit qu'il pouvait peut être trouver un employeur par l'intermédiaire du propriétaire. Je le laisse là et m'arrête un peu pus loin pour la collation du matin avec Rikard que je retrouve attablé à une terrasse. Itinui nous rejoint, déçu de n'avoir rien trouvé. Je vais le laisser là pour continuer, mais j'ai un peu mauvaise conscience. J'aurais peut être pu faire plus pour lui, notamment lui offrir un déjeuner, mais je dois avouer que son discours permanent un peu binaire contre le système commençait à m'ennnuyer dans sa forme répétitive et simpliste, même si sur le fond, je ne suis pas loin de partager son point de vue.
Une centaine de mètres plus loin, je tombe sur l'enseigne ci-dessous qui me fait sourire. Pourquoi ce nom ? Je ne le saurai pas, sunday closed oblige !
Un Charentais se serait-il arrrêté là ?
Les indications sont assez écclectiques !
Un trèfle à 4 feuilles avec un lutin à barbe rousse, voilà qui fait plus irlandais que charentais.
Les deux chopes à gauche pourraient être remplies de Guiness, breuvage irlandais par excellence, n'est-ce pas ?
Nous ne saurons pas ! Un peu plus loin, je tombe sur la fresque murale dont la photo est en tête de page. Cacabelos est pleine de surprises !
A la sortie, un pont et une église, puis une bonne grimpette le long d'une route importante où je vois le panneau ci-dessous, unique en son genre.....
Encore un peu plus loin, nouvelle « fresque » amusante :
La quasi totalité de cette étape sera le long de la route. Les 2 derniers kilomètres se font cependant sur un chemin descendant vers Villafranca del Bierzo. Je suis alors avec un couple d'Italiens dans la quarantaine, rencontrés quelques kilomètres plus tôt, et qui parlent très bien français. Avant l'entrée du bourg, nous passons devant la massive église de Santiago de Villafranca, dont la construction s'est achevée en 1186. Les photos ne sont pas de moi (source Google).
Un peu plus loin se trouve le château des marquis de Villafranca, construit en 1490 par Pedro de Toledo.
La descente vers le centre de Villafranca est raide. Encore un bourg au fond d'une vallée, complètement entouré de collines et de montagnes.
Je m'y instale dans un petit hôtel peu onéreux et très accueillant où l'on m'indique un restaurant pour déjeuner - il est un peu plus de 14H00 - en me garantissant que ce n'est pas un piège à pèlerins.
En effet, il n'y a que des autochtones, et au départ le patron n'est pas très accueillant, me laissant entendre que je devrai attendre un long moment avant de trouver une place. Pourtant lorsque je lui dis que l'on m'a conseillé son restaurant comme étant le meilleur de la ville, j'ai tout de suite droit à une table.
Je goûte un plat de tripes qui pourtant n'est pas vraiment terrible, puis un poisson bien mieux réussi.
Je prends un excellent Bierzo blanc sec, un viña Migarrón de 2015 des bodegas Bernardo Alvarez.
A la fin du déjeuner, le même patron, métamorphosé, m'offre une fiole d'Orujo, un alcool blanc sympathique mais assassin (j'ai pu le constater à mes dépens à Markina Xemein au mois d'août). Cette fois je vais rester raisonnable.....
En fin d'après-midi, je déambule sur la place principale lorsque je tombe sur Peter, l'Anglo-Français rencontré à San Martin del Camino en train de boire de la bière avec un Suisse allemand, Marcel, et Hartmut, un avocat Allemand de Hambourg, la bière étant incontournable dans ce contexte, n'est-ce pas ?
Je retrouverai ces deux derniers très régulièrement jusqu'à Saint-Jacques.
Je dîne avec Peter autour d'un Bierzo rouge cette fois, le meilleur de tous à mon sens, un Petalos de 2009 si j'ai bonne mémoire (produit par J. Palacios sur la commune de Villafranca). Je choisis un plat de poulpe à la plancha, superbe !!
Après le diner, j'accompagne Peter jusqu'à l'auberge de pèlerins du coin où il s'est installé, qui se trouve dans le monument ci-dessous, le Convento de Los Padres Paúles.
La deuxièmephoto n'est pas de moi (Google) mais a l'avantage de montrer une plus grande partie du bâtiment.
Il faut également savoir que le nom de Villafranca provient de la présence d'un comptoir commercial Français au cours du règne d'Alphonse VI (1047 - 1109), comptoir qui fut cédé à l'ordre de Cluny.
Ces moines renonçants propageaient très loin la valeur chrétienne de pauvreté (je plaisante, même si ce n'est pas très drôle sur le fond). Cluny, c'était en effet le capitalisme sauvage et fourbe à la fois avant la lettre. Ces «religieux», commme il est dit sur wikipedia, « adaptaient la règle de saint Benoît aux circonstances». Pragmatiques avant la lettre également !!! Un historien expert les qualifie de première World Company, richissime, qui s'est appropriée terres et propriétés qu'elle faisait fructifier, depuis l'Espagne jusqu'au Moyen-Orient.
FIn de l'étape N°5
« Toute quête est une blessure » Il existe à ce propos deux grands courants dans le bouddhisme Ch'an chinois, école à l'origine du zen au Japon (le même idéogramme se prononce Ch'an en chinois et zen en japonais) ; le subistisme et le gradualisme. Le gradualisme, antérieur, prône une lente progression vers l'éveil spirituel. Il s'agit pour ce courant d’évoluer très progressivement, par étapes, vers l'éveil. C'est l'image de l'ascension difficile d'un puits au fond duquel la conscience ordinaire nous maintiendrait. Pour les subitistes, la recherche d'un état supérieur est déjà en soi une erreur fondamentale. Au lieu d'accumuler, il s'agit de tout lâcher, de laisser tomber nos «pelures d'oignon» protectrices et dissimulatrices pour que l'éveil se réalise en un instant. Toute volonté d'analyse et de systématisation, toute méthode est partie intégrante de ce qui nous empêche de voir. Dans ce courant, pas de quête, pas de graduation, pas d'étapes, il n'y a même ni conscience ordinaire, ni éveil, qui sont l'une et l'autre des concepts, donc dualisants, donc aveuglants.
Le subitisme a été enseigné par l'école du sud du Ch'an, l'un de ses premiers «promoteurs» ayant été Huei-Neng au 7ème siècle, même si un texte indien du 1er siècle après Jésus-Christ se termine en aboutissant à l'éloge du silence, i.e. la vacuité de tout ce qui est constitué,et la vacuité, qui n'est pas le vide, est indicible. J'aime bien le terme de « coïncidence silencieuse » utilisé par Patrick CARRÉ, écrivain et traducteur de Houang Po, même si nous restons encore là dans la forme....
(cf également l'école Madhyamika de Nagarjuna) .
Beaucoup plus simplement, la quête peut être ici assimilée à une tension vaine de notre esprit vers une espèce de «récompense» spirituelle attendue à l'issue du pèlerinage, alors que l'essentiel est dans notre présence au présent à chaque pas tout au long du Chemin.