« Vouloir entretenir ce qui existe dans le temps, c'est perdre ce qui demeure dans l'éternel. »
Maître ECKHART
La Herrerias Triacastela
Après un petit-déjeuner à Las Herreiras, je reprends le Chemin seul sous un ciel un peu grisounet.
J'ai bien fait de m'arrêter là car la montée vers O Cebreiro est plutôt longue et pentue, même si la pente est assez régulière tout le long, à quelques exceptions près.
Je ne m'arrêterai pas avant le sommet, dix kilomètres plus loin. Le parcours se fait au début sur unepetite route tranquille, puis sur un chemin plutôt bien aménagé, qui grimpe et qui grimpe. En une dizaine de kilomètres notre ascension de 680 mètres nous mènera d'une altitude de 650 mètres à La Herreiras à 1.330 mètres au sommet du col.
Pas mal de monde ce matin, notamment plusieurs groupes importants de cyclistes au passage desquels nous devons nous mettre sur le côté. Certains sont cordiaux et remercient, d'autres considèrent que nous sommes des empêcheurs de rouler en rond...
Je m'approche de l'une d'entre eux arrêtée en bord de chemin, visiblement ennuyée car en rade à cause de son vélo et abandonnée, pour l'instant, par son petit ami qui a continué sans s'apercevoir qu'elle avait un problème. C'est une Française dans la trentaine, ou la vingtaine tardive, qui me reçoit un peu comme un chien dans un jeu de quilles quand je lui propose de regarder ce qui ne va pas avec son vélo. Elle me répond qu'elle a essayé elle-même et qu'elle serait bien étonnée que je puissse quelque chose alors qu'Elle n'y est pas arrivée. Elle me laisse tout de même regarder, et en moins d'une minute, j'arrive à décoincer la chaîne prise entre le moyeu du dérailleur arrière et la roue. Là, elle change immédiatement de comportement et devient tout à fait cordiale et sympathique. Au même moment surgit son petit ami, et nous faisons à pied un petit bout de chemin ensemble jusqu'à l'arrivée en Galice, grand moment, au pied d'une borne immense. Ils me proposent de me photographier devant la fameuse borne, ce que j'accepte de bon gré en leur rendant le même service, puis nous continuons, qui à vélo, qui à pied....
20 septembre - 29 kilomètres
... et nous voilà donc en Galice. Santiago est désormais proche, à quelques 160 kilomètres. Palpable ! Moins d'une semaine ! Il y a eu psychologiquement plusieurs phases dans la façon d'appréhender «le but». En France, jusqu'à la frontière, c'est complètement abstrait, ça n'a pas beaucoup d'importance, plus de 1.000 kilomètres, vague, la lune, improbable, d'abord arriver à la frontière ibérique. Dans les Pyrénées, pas vraiment le temps de penser au but tant la difficulté est quotidienne, la question est de savoir si l'on va être capable de continuer le jour même puis le lendemain, avec des moments d'intense découragement. Après Bilbao, Saint-Jacques devient un peu moins le Graal éternellement inaccessible ; mais le but prochain est Gijón où nous verrons bien ce qu'il conviendra de faire. A Gijón, non, je n'y arriverai pas, nous verrons en 2017, je rentre ! Saint-Jacques s'efface, avec une forte sensation de semi-échec ! Et puis, à León, ce fut une nouvelle étincelle en même temps qu'une nouvelle vision et d'une nouvelle sensation quasi physique d'un nouveau chemin, plus humain. Après Astorga, ce fut soudain la certitude absolue d'atteindre ce but dès lors parfaitement concret, sans plus envisager ne serait-ce qu'un instant un quelconque retour anticipé. C'est un peu comme ces marins qui au-dela de la moitié de leur périple comprennent qu'il leur est désormais impossible de revenir et ne peuvent donc plus envisager d'alternative au rivage qui viendra, droit devant, et qu'ils doivent atteindre coûte que coûte.
A l'arrivée à O Cebreiro, un kilomètre plus loin, découverte d'un nouveau pays, nouvelle architecture, nouvelle langue à mi-chemin entre espagnol et portugais. Beaucoup de pèlerins quelque peu grisés par le fait d'être arrivés jusque là. A partir d'aujourd'hui, il va suffire de «descendre» vers Saint-Jacques de Compostelle. Le plus dur est derrière nous ! La journée est splendide; la Galice nous accueille à bras ouverts.
A 1.330 mètres d'altitude, O Cebreiro fut une étape sur le chemin depuis le tout début du pèlerinage. Des moines bénédictins de l'abbaye Saint Gérard d'Aurillac y bâtirent un hôpital pour pèlerins en 1.072. Par la suite, leur prieuré fut rattaché à Cluny (encore eux ! Voir l'étape de Villafranca del Bierzo). L'église Santa María la Real de style préroman, date des 9ème et 10ème siècles.
Quelques centaine de mètres dans le style Camino del Norte. Les cyclistes ont eu du mal à atteindre l'endroit où ils sont !
Le Chemin en direction du sommet O Cebreiro
Le village d'O Cebreiro
Arrêt déjeuner sur place! Il faut attendre 13H00, le début du service. Nous sommes tout de même en Espagne, non ?
En attendant au bar, je rencontre un belge francophone qui loge au-dessus et nous sommes rejoints pas Pierre Lamothe, l'ex diplomate Québecquois rencontré à El Acebo de San Miguel 4 jours plus tôt.
Le déjeuner va être excellent dans un cadre rustique chaleureux mais qui ne plairait pas à notre camarade Transylvanienne Tünde (voir ci-dessous) ! Pulpo a la gallega pour moi, bien sûr !
Pierre nous fait part de son intention delouer un valo pour descendre en roue libre tout en confiant son sac à dos à l'une des multiples officines qui propose chaque jour enlèvement et livraison des bagages à destination. Je me suis toujours refusé à cette facilité, mais je ne condamnerai pas ceux qui y ont recours, que ce soit par paresse ou par nécessités diverses, blessures, pieds en vrac, muscles plus enflammés que le pèlerin, fatigue trop intense, âge, etc....
Déjeuner à l'auberge Venta Celta d'O Cebreiro
Sur l'origine du nom Triacastela, l'avis d'un historien... en espagnol : « El nombre de Triacastela suscitó y suscita más de un interrogante a los historiadores y parece que no es cosa reciente pues en la torre campanario de la iglesia parroquial a modo de blasón heráldico figuran tres castillos, es posible que se trate de tres castellas o torres de vigilancia ubicadas cada una en los cercanos castos, pero ello se queda en mera especulación pues hasta que sean excavados en las condiciones técnicas del momento poco o nada sabremos de la cultura castrexa o castrexa romanizada que con toda seguridad poblaron estas tierras, el toponimo más que señalar un núcleo de población concreto creo que se refiere a una amplia zona, la zona de los tres castos, ello parece que está bien claro en el documento del rey Ordoño I, del año 919, que al mencionar el monasterio de S.Pedro de Ermo, dice "in territorio Triacastelle". »
Auteur, Luis López Pombo
Promenade, digestive, il va rester une vingtaine de kilomètres tout en descente après Alto do Poio, sans grand charme, la plupart du temps sur un chemin le long de la route vers Triacastela (Trois châteaux ou trois sages ?*).
Seule difficulté, 3 km environ entre Padornelo et le col d'Alto de Poio dont quelques centaines de mètres vraiment très pentus. Par contre la vue sur les montagnes et vallées alentour est époustouflante.
El Alto do Poio est le point le plus élevé du Chemin en Galice à 1.337 mètres. A l'arrivée, le bar Puerto O Poio doit faire de bonnes affaires. Una caña de cerveza por favor !! Après l'effort....
Par la suite, c'est tout schuss, une bonne luge pourrait faire l'affaire sous réserve de maitriser les courbes...
Le village de Triacastela n'est pas inoubliable. Une grande rue... et c'est tout ! Les Trois châteaux ont disparu s'ils ont jamais existé (voir encadré ci-dessous). La rue principale, rúa Peregrino ( vous remarquerez le «rúa» au lieu de «calle» le premier étant à consonnance carrément lusitanienne plutôt que Castillane), qui devient ensuite rúa Santiago, semble entièrement consacrée à soulager les pèlerins de leurs sesterces. Restaurants, dont certains sont de vrais usines à menus de base pour marcheurs modérément argentés,dont le Complexo Xacobeo, décomplexé mais correct cependant, et des auberges en tous genres ! Mauvais choix pour moi, une chambre chez l'habitant, Casa Olga, bed without breakfast, chambre chère et vraiment limite basse en matière de confort, salle de bains à l'avenant. A éviter !
Mais avant, je suis passé à la pharmacie du coin ; il y a souvent des pharmacies sur le chemin même dans les villages, ampoules et bobos en tous genres étant légion. Je n'ai plus d'aiguilles pour mes stylos d'insuline.... et ils n'en ont pas en magasin ! Je suis invité à aller le lendemain matin au Centre de Santé Public à la sortie du village.... ouvert à 9H00. Pour ce dernier le mot «saúde», identique au portugais, a remplacé le «salud» espagnol, pour dite santé. Bienvenue en pays Gallego !
Fin de l'étape N°7