« La notion du moi est le principal obstacle à l'épanouissement de toutes nos virtualités, ce n'est qu'une substance imaginaire, construire par le contexte social et qui doit son existence à la mémoire. »
Jean KLEIN - La joie sans objet
Étape N°13
O Predrouzo Santiago de
(O Pino) Compostela
26 septembre - 25 kilomètres
« La véritable présence se manifeste seulement dans l'absence de projection d'un personnage ».
Id.
« Nous sommes fondamentalement ce que voulons obtenir »
Source égarée
Aujourd'hui est un grand jour ! L'aboutissement de près de deux mois de marche, d'enthousiasmes, de découragement, d'états de conscience jamais connus auparavant et indescriptibles, de rencontres magnifiques avec des êtres humains ouverts,accueillants, habités par la joie d'être, de coïncidences silencieuses, et après plusieurs fulgurances avec ce que nous pourrions appeler Dieu à défaut de terme adapté. Ne me demandez pas de vous dire ce que furent ces fulgurances, j'en suis totalement incapable ! Rien a voir, disons-le clairement et en toute humilité, avec les expériences de Pascal, du Père de Foucault, de Paul Claudel ou d'Eric Emmanuel Schmitt entre autres rares illuminés. Peut-être Ignace de Loyola décrit-il cela au mieux en parlant de ses «motions».
Et pourtant, ce matin je suis calme, sans aucune fébrilité à l'idée d'atteindre la fin du parcours.
Petit-déjeuner à l'hôtel au milieu quelques dizaines de turigrinos Hollandais tellement enfermés dans leur groupe qu'ils semblent à peine me voir ! Voilà qui change fort de l'attitude de cordialité naturelle et de forte solidarité des pèlerins tout au long du Chemin. Le hall de l'hôtel est plein à craquer de leurs bagages énormes. Exotique ! Très exotique, mais «ne juge pas et tu ne seras pas jugé» a-t-il été dit, n'est-ce pas ?
Une demi-heure plus tard, je me dirige vers O Pedrouzo pour récupérer Viking au passage à 8H30 en traversant une de ces petites forêts de Galice que j'affectionne tant !
Et nous voilà partis vers cet endroit mythique où il est très fortement improbable que la moindre dépouille de l'apôtre Jacques ait jamais été ensevelie. Mais encore une fois, peu importe, ce qui compte c'est le mouvement colossal et magnifique de millions de pèlerins que la prétendue présence de la dépouille de l'Apôtre ait généré pendant plus de 1.000 ans. C'est le creusement siècle après siècle de ses centaiens de sentiers à travers toute l'Europe, les merveilles, les difficultés et les drames qu'ils ont rencontré sur leur chemin. Ils étaient 260.000 à avoir atteint Saint-Jacques en 2015. Ils viennent désormais de la terre entière, de plus en plus nombreux, quelles que soient leurs raisons ou non-raisons particulières et cela ne peut que plaire à Dieu.
Le premier Guide du Pèlerin daterait du 12ème siècle. Il a été attribué à un Poitevin, Aimery Picaud, de Parthenay, qui a été envoyé à Compostelle en 1131 par le Patriarche de Jérusalem, Guillaume de Messines. Mais les historiens semblent désormais considérer qu'il a plutôt été réalisé par Hugues le Poitevin, moine de Vézelay, rédacteur de la chronique de Vézelay.
Pas de brume, il fait très beau ce matin ! Master Jacques !! C'est ainsi que j'ai appelé depuis le début la Présence qui nous guide sur ce Chemin et nous offre des situations tellement incroyables quasiment chaque jour. En avant donc vers la cathédrale de Santiago !
Au début, le parcours est plutôt agréable jusqu'à la sortie du petit bois de Cimadevila, à 7 kilomètres de mon point de départ. Ensuite, il va falloir contourner la piste de l'aéroport de Saint-Jacques par le nord. Puis nous entrons dans le bourg de Lavacolla. Nous nous dirigeons alors vers LE restaurant du coin, le San Paio. Il est 12H30 et ils ne servent pas avant 13H00, as usual. Nous y sommes rejoints pas Marcel, notre ami Suisse et nous décidons d'attendre 13H00 autour d'un verre ou deux d'Albariño avec quelques olives. A 13H00 pile, déjeuner à trois Viking, Marcel et moi. Très bon, avec un rodaballo grillé pour moi (turbot) ; je ne sais plus ce qu'ont pris les autres.
Je vais faire une gaffe en passant devant la table d'une famille que je croyais japonaise en les saluant en japonais, alors qu'il s'agit de Coréens qui très poliment se présentent comme tels et me disent comment saluer dans leur langue. Je leur demande de m'excuser, sachant que les Coréens n'apprécient pas trop les Japonais depuis les exactions commises par ces derniers au cours de la deuxième guerre mondiale. A vrai dire, je ne sais pas vraiment si le ressentiment est toujours aussi fort aujourd'hui, mais je suis assez gêné.
Nous repartons un peu après 14H00 pour la dernière «ligne droite», traversant un ultime petit bois avant d'arriver en zone pré-urbaine.
Puis c'est la dernière colline avant Santiago, el Monte do Gozo, où nous allons attendre Kim, Nadine et Frank qui arrivent directement d'Arzua après environ 35 km de marche. Esplanade avec petite chapelle et monument du plus mauvais goût d'où l'on peut apercevoir la cathédrale.
Nous allons dès lors marcher tous les cinq dans un environnement bien peu bucolique, jusqu'à l'entrée à Santiago.
A la limite de la ville, devant un grand panneau très psychédélique (voir ci-dessous), l'émotion est forte. Mais nous ne somme pas au bout de nos «peines», car il va falloir traverser les faubourgs carrément moches jusqu'au centre historique, quelques 3 kilomètres plus loin. La ville est configurée de telle sorte que, étrangement, l'on ne verra la cathédrale qu'au dernier moment.
Quelques instants d'émotions pour les uns puis les autres où nous avons du mal à retenir nos larmes ! Je n'ai pourtant pas particulièrement attendu ce moment, considérant et vérifiant par l'expérience que la pérégrination elle-même, plongé dans un présent plus dense que jamais, chaque jour et à chaque instant, tout au long de ce périple deplus de 1.200 kilomètres, fut, est et restera pour toujours au fond de moi le vrai trésor du Chemin de Saint-Jacques.
Et alors, nous voici enfin dans le centre historique, et nous arrivons sur l'immense Praza do Obradoiro, devant la cathédrale, à 18H05, et là nous sommes tous tellement heureux !! Et nous le manifestons avec éclat... et avec rioja !! !!
This is the END