« Sur terre, ce ne sont pas les occasions de s'émerveiller
  qui manquent, mais les émerveillés. »
 
  Eric-Emmanuel SCHMITT - La nuit de feu

 
De La Mothe Saint-Héray à Brioux sur Boutonne
Sur le chemin de Saint-Jacques entre La Mothe et Melle
C'est une impression étrange de sortir de la maison avec tout mon équipement, impression de combler un manque, insatisfaction de ne pas être parti de chez moi dès le début. Aussi, c'est avec beaucoup d'assurance que je me dirige à grands pas vers Exoudun par des sentiers que je connais par coeur pour les avoir parcourus à maintes reprises à vélo et à pied depuis bien des années sachant que j'habite La Mothe Saint-Héray depuis maintenant vingt-trois ans, après une vingtaine d'années «perdues» dans le centre de Paris. Au coeur des villes l'âme perd peu à peu ses repères les plus importants,  ses connections les plus fondamentales avec la nature, et l'animal terrien que nous sommes se rabougrit autour d'un cerveau binaire décodant un monde interprété au lieu d'être vécu en pleine réalité. En effet, dans cet univers uniforme, domestiqué, les saisons ne changent rien ou presque rien à l'environnement alors qu'ici sur ces sentiers, la teneur de l'air est différente à chaque kilomètre, chaque saison manifeste toute sa force sans aucune pudeur, magnifiquement, avec ses couleurs et ses odeurs de fruits, de feuilles ou de réglisse. Il y a le vent, les vents plutôt, les insectes, les animaux, tout vous rend vous-même tellement plus vivant immédiatement. La vie urbaine vous retire presque tout, vous n'êtes plus un animal humain qui regarde et respire, vous n'êtes plus qu'une machine à quantifier et à dualiser, comptable de vos pas, de vos heures, de vos avoirs, de vos envies et de tout le reste, sans saveur, désincarné. Le corps n'est plus là que pour signifier souffrance, douleur, ou jouissances passagères.
Le temps y est linéaire, vous écartelant sans cesse entre passé illusoirement encombrant et futur tunnelisé planifiant, ce au grand dam du présent. L'environnement urbain est naturellement hostile, il faut y être aux aguets, il provoque un fond d'inquiétude permanent, alors que sur un chemin vous êtes là en toute simplicité, pleinement, avec une attention ouverte à tout et à vous-même, baignant  dans les délices immensément denses du présent, vibrant doucement au rythme de l'univers.    

Au bout de six kilomètres, à la sortie de Brieuil, je rejoins un GR655 discrètement balisé qui commence à vouloir vous imposer un détour sous prétexte de point de vue à découvrir. Je continue tout droit pour éviter ce crochet inutile dans le contexte de ma démarche. Le pèlerinage peut se passer des ornements. 

Aucun signe ne fait ici référence au Chemin de Saint-Jacques, pas la moindre coquille !!

Heureusement, je dispose d'un tracé d'itinéraire sous format gpx sur mon smartphone, qui me rassure et m'assure du bon embranchement lorsque rien n'est indiqué, ce qui se produira une bonne dizaine de fois jusqu'à Melle, comme j'ai pu le répertorier bien plus tard, en reprenant le même chemin en octobre.

Par exemple, au carrefour de  Foucault, solide bâtisse flanquée d'une superbe fenêtre Renaissance, aucune indication quant à la direction à prendre.

Plus loin, un sentier forestier flanqué de poèmes inscrits sur des panneaux en bois apposés par la commune de Sepvret descend assez fort vers la Sèvre Niortaise, très près de ses sources, Sèvre qu'il faut traverser sur un étroit pont de rondins particulièrement sommaire. Le chemin est partagé entre étroit sentier piéton et petit rû qui vous accompagne avec plus ou moins de force liquide jusqu'au fleuve selon les conditions climatiques (voir photo ci-dessous à gauche). Rappelons en effet que la Sèvre est un fleuve ! Cette partie du sentier est à déconseiller pour les praticiens du vélocipède, surtout chargé de bagages. C'est d'ailleurs indiqué sur un panneau avant la descente. L'alternative est proposée par un signe de couleur jaune, qui ne semble pas être lié au Chemin deSaint-Jacques. Il doit s'agir d'un autre GR, je ne sais pas ! 

La remontée vers le petit bourg de Sepvret est plus douce et plus courte. A l'arrivée dans le village, concert de chiens «de garde», c'est écrit sur des panneaux apposés aux portails comme en maints endroits jusqu'à Santiago avec des âneries déclaratives du type «Je monte la garde», «je veille sur mon maître» et autres summums de la pensée humaine...

J'avais lu le bouquin de Coelho Le pèlerin de Compostelle, bien des années plus tôt, et le seul souvenir que j'en avais gardé était la lutte quasiment à mort entre le pèlerin et un chien diabolique qu'il rencontre à plusieurs reprises. J'ai donc prévu l'improbable, en me munissant d'une bombe au poivre pour dissuader tout molosse de vouloir m'arracher la gorge.
Hé bien, je n'ai jamais eu aucun incident avec la gent canine tout au long de mon parcours malgré de nombreuses rencontres avec une multitude de races et de tailles de toutous. J'ai plutôt un bon contact avec ces animaux. Seule exception, deux ou trois jours avant d'arriver à Santiago, une espèce de bâtard très moche s'en est pris à moi par des aboiements bien peu sympathiques, qui m'étaient à l'évidence destinés car d'autres pèlerins me précédaient et me suivaient. C'était exclusivement à moi qu'il en voulait ! J'ai alors répliqué aux aboiements par un grognement puissant, venu du fond de mes entrailles je ne sais comment, et l'agresseur, terrifié, a immédiatemernt pris la poudre d'escampette. Quant à la bombe, jamais utilisée, je l'ai donnée au réceptionniste de l'hôtel de Porto où j'ai terminé mon périple avant de reprendre l'avion pour la Rochelle fin septembre. Ceci dit, il faut tout de même être prudent ! Une pèlerine mexicaine qui s'était trop approchée d'un berger allemand du côté de Santander s'est faite mordre gravement et a dû être transportée d'urgence à l'hôpital.

Mais revenons à Sepvret ! J'essaierai de rencontrer le maire de la commune pour le remercier d'avoir planté là, seule commmune a l'avoir fait entre La Mothe et Melle, deux balises jacquaires avec coquille et flèche jaune, à proximité de la mairie  ! Quel plaisir de revoir ces invites à suivre la voie de Saint-Jacques ! Un troisième panneau prévient d'une bifurcation, un kilomètre plus loin.
Bravo Monsieur le Maire !

Après ce sera plus difficile !! Sur un chemin blanc en plein champ, j'ai hésité devant un croisement sans aucune indication apparente, mais en regardant plus attentivement, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir la signalisation du GR655 installée volontairement à terre, au milieu du chemin, à moitié recouverte par la poussière.... (voir photos ci-dessous).                
La commune de Sepvret et ses environs
Un mode de signalisation du GR655 particulièrement peu banal
Après Sepvret (prononcer sevré), le chemins forestiers sont tout aussi agréables entre plusieurs passages le long de champs cultivés. Il y a de nouveau un détour bien peu logique au niveau du bois de la Villa Morin, et j'ai ensuite raté un embranchement à gauche, 300 mètres après la sortie du  bois de l'Artigaut, faute d'attention ou absence de signalisation une fois encore ? Peu importe, il suffit de prendre à gauche un peu plus loin, au niveau de Haut Parchimbault. 

Eglise romane Saint-Hilaire de Melle
Château des Ouches à Saint-Génard, près de Melle (photo plus récente, prise en décembre)
Mon fils ainé, qui habite près de là, dans une annexe du château des Ouches, à proximité, me rejoint au centre-bourg  pour me conduire jusqu'à son domicile où il sera alors temps de dîner. Il m'offrira également le gîte pour la nuit.  
Ensuite, je rejoins la  D950 Poitiers-Melle au niveau de  Saint-Léger de la Martinière, commune contiguë à celle de Melle, dont le centre est à moins d'un kilomètre.

Et là, croyez-le ou non,
il n'y a aucune signalisation du Chemin de Saint-Jacques dans le centre de Melle, sauf faute d'inattention de ma part. Incroyable ! Seule exception, un autocollant plaqué par un pèlerin cycliste Flamand sur un poteau en direction du centre, au niveau du bas du champ de la proprité de La Garenne (photo à droite). Est-ce délibéré de la part de la Municipalité ? Je veux croire que non ! Je vais m'en assurer.   

Pourtant, la présence de trois magnifiques églises romanes dans ce bourg ne s'explique pas seulement par la foi des autochtones. Les nombreux pèlerins qui sont passés par Melle depuis le 11ème siècle ne sont sans doute pas étrangers à la décision de leur construction.
De nombreux pèlerins qui passent toujours aujourd'hui par cette petite ville seraient ravis d'être guidés comme c'est le cas quasiment tout au long du Chemin jusqu'à Saint-Jacques, notamment en Charente Maritime, le département d'à côté !  
                 Étape N°1
La Mothe Saint-Héray         Melle 
1er août - 23 kilomètres
                 Étape N°2
Melle           Brioux-sur-Boutonne 
2 août - 11,5 kilomètres
Temps gris ce matin ! Départ vers 9H00 pour une étape courte, Brioux étant à une distance de moins de 12 kilomètres sans aucune difficulté sur le parcours.

Je longe les murs du château des Ouches, bifurque à droite, traverse la D 950 ; je continue vers Mazières sur-Boutonne, tourne à gauche pour longer la propriété Madame Wieme, une amie de la mère de mon épouse, une demeure pleine d'histoire avec sa propre église romane et un réseau de canalisations romaines, l'Archiprêtré.

Je rejoins alors le Chemin de Compostelle déguisé en GR655 par des tenants d'une laïcité extrémiste qui tiennent peut être à cacher, voire à faire oublier, ce sein magnifique qu'ils ne sauraient voir, quoique contemplé par des millions de pèlerins depuis plus de 1.000 ans, un détail de l'Histoire sans doute !!!!  Négativisme grotesque voué à un échec assuré lorsque, rappelons-le,  270.000 pèlerins ont demandé leur Compostela l'an dernier et ils seront encore plus nombreux cette année et dans les années à venir. 

Mais revenons donc à nos moutons pérégrinant, qui ne sont certes pas de Panurge, bien au contraire ! Quelques centaines de mètres plus loin, Ô miracle, apparait un nouveau panneau indiquant le Chemin de Saint-Jacques, en proposant un itinéraire qui contourne la petite route agréable et ombragée que je suivais. J'ignore le panneau en restant sur la petite route, par paresse assurément,  jusqu'à la fin du contournement !! J'ai peut être raté quelque campagne bucolique et enchanteresse ; j'y passerai tôt ou tard une prochaine fois pour m'en assurer ! 
René de la Coste Messelière*, parent du propriétaire actuel  du château, avait créé le Centre d'Études Compostellanes et fut à l'origine de pèlerinages à cheval à partir du Poitou.
Il est cité ainsi dans le livre d'Alix de Saint-André, En avant, route ! , que je vous recommande chaudement : «Le crime de non-assistance était particulièrement grave entre pèlerins : l'abandon d'un compagnon de route fatigué ou malade ne pouvait le plus souvent être absous qu'au prix d'un second  pèlerinage.» Extrait de Voies Compostellanes.

* 1918-1996 Chevalier de l'ordre national du Mérite, Chevalier de Malte, Officier des Arts et Lettres, Officier de l'Ordre d'Isabelle la Catholique, Médaille d'argent de la Junte de Galice, Fils adoptif de la ville de Saint-Jacques de Compostelle      
Après un passage par une zone industrielle aussi accueillante que toutes les zones industrielles, une longue avenue mène au centre ville de Brioux en suivant la route de Melle à Aulnay de Saintonge.  
Rien de bien intéressant au plan architectural pour ce bourg-rue typique. OUPS ! J'ai oublié la porte Saint-Jacques, omission impardonnable.... « une ancienne porte cavalière et piétonne à créneaux, située sur l'ancienne route romaine, que traversaient les pèlerins pour Saint-Jacques-de-Compostelle ».  Pas de place au seul hôtel du bourg qui ne compte que 3 chambres. La Maison des arts, disposant de 6 lits, située sur la place principale, peut faire office de gîte pour les pèlerins, mais les artistes y sont prioritaires, et la maison est complète pour quelques semaines à mon arrivée. Il semble, mais je l'ai découvert plus tard, qu'un autre hébergement soit possible, ce que ne m'a pas indiqué La Maison des Arts ni aucun des commmerçants interrogés. Il s'agit de la Maison Familiale IREO, ouverte aux pèlerins pendant les week-ends et les vacances scolaires, ce qui était le cas lors de mon passage.  Je ne sais pas de combien de lits ils disposent ni si l'information est fiable.  Elle devrait normalement l'être puisqu'elle est diffusée par l'Association Saintaise des Chemins de St Jacques de la Charente-Maritime.
Il y a également un camping, mais je ne me sens pas ouvert à ce type d'hébergement aujourd'hui, malgré le fait que je dispose de tout l'équipement nécessaire.

Je vais y réfléchir en déjeunant dans un restaurant situé sur la rue principale dont le nom est une invite :
«A table...» Le cadre n'est pas très chaleureux et la décoration minimale, mais l'accueil est parfait, et j'y déguste un bon déjeuner arrosé d'un excellent vin italien, un Montepulciano si je me souviens bien.

A l'issue du déjeuner, je vais m'asseoir près dela mairie où je téléphone à mon épouse qui viendra me chercher en voiture un peu plus tard, achevant ainsi cette première partie de mon parcours de proximité.

Il faudra attendre la fin du mois d'août, après ma traversée des Pyrénées, pour reprendre mon parcours en allant de Brioux à Aulnay de Saintonge puis Saint-Jean d'Angely.   
Le centre de Brioux sur Boutonne vu depuis la mairie. Vous remarquerez la boutique «Volupté Florale» consacrée notamment au.... funéraire. Volupté, quand tu nous tiens...
Fin des 2 étapes