« Vouloir entretenir ce qui existe dans le temps,
   c'est perdre ce qui demeure dans l'éternel.  »
 
   Maître Eckhart (c. 1260 - c. 1328)

 
De Brioux sur Boutonne à Saint-Jean d'Angély
                                 Étape N°3
Brioux sur-Boutonne         Aulnay de Saintonge 
25 août - 22,5 kilomètres
Grand beau temps et forte chaleur aujourd'hui. Si à la sortie de Brioux (photo ci-dessus à gauche), le pèlerin est à l'abri sur un chemin ombragé, ce sera moins le cas par la suite et ce jusqu'à Aulnay, mis à part quelques passages sur des sentiers au coeur de petits bois rafraichissants, notamment à la limite entre Deux-Sèvres et Charente-Maritime.
Départ aux aurores ce matin ! En effet il est prévu des températures élevées, et la prévision va se confirmera au fur et à mesure de mon parcours. Je reviens donc accompagné en voiture à Brioux-sur-Boutonne où j'avais interrompu mon itinéraire de proximité le 2 août, un peu avant ma traversée des Pyrénées Basques, la partie la plus éprouvante du Camino del Norte... Arrivée à Brioux aux environs de 8H00 ! Sortie rapide du petit bourg pour prendre un sentier agréable illustré ci-dessus à gauche. L'étape de ce jour n'est pas trop longue et ne présente pas de difficulté particulière. Toujours confronté à l'absence de signalisation jacquaire, fléau du pèlerin dans les Deux-Sèvres, je suis tant bien que mal la signalisation rouge et blanche du GR 655.... quand elle existe !     
Après 4 km, traversée du village de Villefollet ; le chemin suit la D950 quelques centaines de mètres à sa droite, en direction d'Aulnay bien entendu ! Après, le chemin suit la bordure de champs cultivés (voir photo ci-dessus à droite). Le soleil ne se fait pas encore trop sentir, il n'est que 9H00 !

Toujours le long de champs, 10 km après Brioux, il faut traverser la  D950, au niveau du bois d'Ensigné, Commanderie de Templiers. Il faut savoir que ces derniers auraient été des protecteurs des pèlerins en Espagne, mais cette thèse ne fait plus l'unanimité.

Rappelons que l'Ordre des Templiers a été condamné par Philippe le Bel en France, et plusieurs milliers d'entre eux ont été arrêtés partout dans le pays au petit matin du  vendredi 13 octobre 1307. Torturés, de nombreux chevaliers ont été condamnés au bûcher. Sur le Chemin, aux 11ème et 12ème siècles, l'ordre religieux prépondérant en matière d'hébergement et d'assitance était plutôt celui des Hospitaliers. Certes, plusieurs commanderies sont répertoriées le long du Chemin, en France et en Espagne, dont celle de Ponferrada, mais cette dernière notamment aurait dû son implantation à des raisons essentiellement marchandes. Néanmoins, des commanderies hébergeaient des pèlerins, entre autres sur la Voie du Nord, et leur faisaient l'aumône. (sources :  Damien Carraz - Maître de conférences, Université de Clermont-Ferrand, en 2010, et  Alain Demurger, Médiéviste, historien de la Croisade et des ordres religieux-militaires, maître de conférences à l'université de Paris-1, en 2002).

Fondé en 1170, l'Ordre de Saint-Jacques de l'Épée, dont l'emblême fut la coquille + l'épée rouge telle qu'affichée en tête de page, a adopté une organisation hiérarchisée sur le modèle de celle des Templiers, mais il n'est pas avéré que les 13 chevaliers ayant constitué les premières troupes de cet Ordre - à vocation exclusivement militaire - furent eux-mêmes issus des Templiers. Notons tout de même que ces 13 Chevaliers étaient appelés « Los Caballeros de Cáceres », que l'Ordre de Saint-Jacques y a été créé (L'Ordre fut d'abord une confrérie religieuse de chevaliers fondée par le roi Ferdinand II de Léon le 1er août 1170 à Caceres en Estrémadure), et qu'il est avéré une présence des Templiers en Estrémadure où ils combattaient eux aussi les musulmans à cette même époque.(1)(2) 

Il n'est pas établi non plus, et il même fortement contesté, notamment par feu le professeur Lomax, que l'Ordre de Saint-Jacques de l'Épée ne fut jamais chargé de protéger les pèlerins de Saint-Jacques :  «l'Ordre de Santiago a été fondé uniquement pour lutter contre les Musulmans en Espagne» et «le devoir de protection des pèlerins n’a jamais existé». «En 1170 cela faisait 173 ans qu'aucune troupe musulmane n'avait mis les pieds en Galice, et il n'y avait aucune forteresse musulmane à moins de 200 kilomètres d'un point quelconque de la route des pèlerins».  Notons tout de même que l'argument n'est pas pertinent si l'on parle des itinéraires en provenance du sud de l'Espagne... 

Back to the future, revenons donc à Ensigné en ce 21ème siècle !

Après avoir longé en zig-zag un petit bois, j'atteins le département de Charente-Maritime, qui s'annonce avant la traversée d'un ruisseau par.... un panneau des routes de Compostelle qui se croisent ici, et de l'autre côté du pont ... une grosse borne en bêton avec une coquille Saint-Jacques en relief et une flèche jaune indiquant la direction à prendre.
Après l'indigence des Deux-Sèvres en la matière, c'est une bénédiction ! Ces bornes salutaires vont désormais me guider sur la bonne voie tous les 200 à 300 mètres. Allelujah !!!  

 
 
Enfin une signalisation destinée aux pèlerins de Saint-Jacques - Merci au département de Charente-Maritime !
Grâce à cette nouvelle signalisation, la trace GPS du Chemin intsallée sur mon smartphone sera bien moins sollicitée.
C'est donc ragaillardi et le coeur léger que j'entre en Charente-Maritime.  Un peu plus loin, le GR 655 est rejoint parle GR36 qui vient de Parthenay et de Niort. C'est celui qu'a emprunté Alix de Saint-André dont nous avons déjà parlé en venant de Saumur via Thouars, alias la voie des Plantagenêts. Alix a relaté ses expériences du Chemin de Compostelle avec à la fois beaucoup d'intelligence, de simplicité et d'humour, et un socle de spiritualité à la fois solide et très ouvert (
En avant route, collection Folio). Comme je l'ai déjà noté, elle a tout autant que moi fortement apprécié les «grosses bornes» de Charente Maritime (voir en page 187).

Après la traversée d'un petit bois, arrivée sur une aire de repos de la route Melle - Aulnay - Saint-Jean - Saintes, la D950. Arrêt sandwich et boissons sur un banc confortable. Puis l'on suit la D950 à sa gauche jusqu'à La Villedieu. Arrêt à la fontaine du village pour récupérer un peu d'eau fraiche, car la chaleur commence à se faire sentir, il est déjà 12H30. 

Le Chemin oblique à gauche puis à droite à la sortie du village et continue en plein champs.  Aucune ombre et il fait très chaud !! Qu'à cela ne tienne, il ne reste que 5 km avant Aulnay, au maximum une heure et demi. Mais il est clair que l'Espace-Temps est bien moins linéaire que l'on peut le croire a priori. Les 4 à 5 derniers kilomètres sont chaque jour les plus difficiles et les plus longs, certes subjectivement, mais je ne suis pas autre chose qu'un sujet humain plus ou moins sapiens humblement assujetti à sa subjectivité...

Avant Aulnay, je passe par le hameau de Salles-les-Aulnay où le Chemin voudrait que je fasse un détour par la vallée de la Brédoire.
Fourbu et assoiffé, mon eau fraîche ayant atteint une température qui permettrait d'y infuser du thé, je continue tout droit, ce que je regrette vite car l'arrivée à Aulnay par ce raccourci est vraiment très moche le long d'une rue bordée de maisons et pavillons des années 50 à 70 typiques mais peu enchanteurs (ceci dit, ma propre maison est un produit typique des années 60 avec formica et cheminée «design» d'époque...). Le bord de la Brédoire aurait sans doute été bien plus agréable.  

J'arrive enfin sur la place principale et me précipite vers le premier... et seul bar ouvert où je commande un demi bien frais, puis un deuxième. Je suis loin d'être un fanatique de la bière à laquelle je préfère de beaucoup le vin, mais avec la chaleur et les kilomètres, c'est une boisson carrément divine ! Ma soif apaisée, je repars à la recheche d'un restaurant. Il est 14H00 ! Le seul snack ouvert est en train de fermer ! Bon, tant pis ! Je me dirige vers
l'hôtel du donjon où j'ai réservé une chambre, toujours sur la place pricipale, mais là, porte close, la réception n'ouvre qu'à 15H00 ! Bon, tant pis, je reviens sur la place, et m'assois sur un banc pour grignoter une savoureuse boite de thon à la catalane aux petits légumes.  C'est alors que trois jeunes personnes, dont une jeune femme, se dirigent ver moi et me demandent si je suis un pèlerin en route pour Compostelle, ce que je confirme avec quelque fierté !   

Hé bien.. ou eh bien (les deux orthographes sont acceptées par Monsieur Littré), figurez-vous que
la jeune femme est la responsable du balisage du Chemin de Compostelle pour la Charente Maritime. Un nouveau petit miracle du Chemin, à coup sûr une espièglerie de Maître Jacques ! Vous aurez compris que j'en profite pour la féliciter chaudement à propos du balisage en Charente et que je maugrée contre l'indigence des Deux-Sèvres en la matière. Nous discutons un moment puis je suggère de lui adresser mes commentaires à propos de la suite de mon parcours en Charente, ce que je ferai effectivement une semaine plus tard.

Rien de bien intéressant pour le reste de la journée*, l'hôtel est confortable, la propriétaire accueillante. Le soir, diner au snack qui fermait à 14H00 et qui se tranforme en vrai restaurant le soir malgré son nom,
O' Kass Dal... Plutôt bon, vin très agréable et service impeccable. Pas trop cher !

Nuit parfaitement paisible et sans trop de chaleur à l'hôtel du donjon !    

* Oups, j'ai oublié de parler de la magnifique
église romane d'Aulnay ! une véritable splendeur de l'art roman en Saintonge. Effectivement, je ne l'ai pas revisitée ce jour là, car je l'avais fait auparavant à de multiples reprises depuis mon installation dans la région il y a maintenant plus de 20 ans. Mais si vous passez par Aulnay, vous auriez grand tort de ne pas prendre quelques heures pour savourer pleinement ce joyau. 

                                 Étape N°4
Aulnay de Saintonge          Saint-Jean d'Angély  
26 août - 22 kilomètres
Petit aperçu du paysage typique entre Aulnay-de-Saintonge et Saint-Jean d'Angély, à tout le moins jusqu'à  la vallée de la Boutonne. Il est presque possible d'y percevoir la chaleur de ce jour du mois d'août !
Remarquez à gauche de la photo la borne indiquant le chemin de Saint-Jacques .
Départ à 8H00 ce matin ! Climat chaud et ensoleillé prévu pour la journée. Différence avec hier, pas d'ombre sur les deux tiers du parcours. La photo ci-dessus en donne un bon exemple !   
Rien de bien remarquable sur le trajet ! Traversée une nouvelle fois de la D950 aux églises d'Argenteuil. Puis un paysage un peu plus sympa bordé d'arbres à droite. Ensuite, je marche le long de la rivière Boutonne  pendant quelques kilomètres avant de la traverser entre Poursay-Garnaud et Courcelles. Il semble y avoir un couvent ou un monastère à Courcelles, présentant un mur avec de grandes statues religieuses. Il y a bien dans ce village un  gîte de 6 places pour les pèlerins, mais je ne sais pas s'il se trouve dans ce bâtiment. 

Je continue donc en prenant à nouveau un raccourci, mais cette petite route est très fréquentée au regard de sa taille, et il n'y a pratiquement pas, et quelquefois pas du tout, de bas côté où se mettre à l'abri.      

Le petit pont sur le
ruisseau de la Madeleine est vraiment dangereux car n'offrant aucune protection de part et d'autre au piéton égaré...ou pas.

J'approche de Saint-Jean-d'Angély dont le centre n'est plus qu'à 4 km et il est 12H00. J'ai faim !!

En remontant, je refuse à nouvau de suivre le Chemin balisé qui propose un détour de 4 km pour bénéficier d'un passage sous la D939, Angoulême - La Rochelle, une route à 4 voies particulièrement passante. Je vais donc tout droit et me retrouve vite devant un monticule de terre empêchant l'accès au chemin. A gauche il y a un camp pour les gens du voyage où je vais m'enquérir de la meilleure façon de franchir l'obstacle. Il m'est répondu qu'il me suffit de passerpar-dessu le monticule et de traverser la 4 voies, étant entendu que je devrai vraiment la traverser au milieu de la circulation. Gasp !! Je parviens au bas d'un haut talus de 3 mètres environ que je dois gravir pour arriver au bord de la départementale. Je passe ensuite héroïquement par dessus la barrière de sécurité, et j'attends le moment propice pour traverser..... en courant entre flux ininterrompu de voitures et camions !! Il ne faut surtout pas que je me casse la figure, c'est vital ! Bon, j'exagère un peu, j'y arrive assez facilement sans me faire peur.  

Après, un chemin en voie de dégradation pour cause de non utilisation depuis l'avènement de la nouvelle route, nous voilà dans la zone commerciale de Saint-Jean d'Angély. J'ai très faim !
Je vais donc m'arrêter là pour déjeuner, dans le restaurant d'un centre commercial, très cozy comme il se doit !!!
Clientèle d'employés du coin déjeunant en trois coups de cuillères à pot en parlant du dernier match de foot  avant de repartir participer joyeusement à la compétitivité de l'économie globale tellement humanisante. Vous ne pouvez pas savoir combien je suis heureux d'avoir échappé à la comédie «humaine» de cet ersatz de civilisation en prenant ma retraite !!! Moi aussi j'ai participé longtemps à cette servitude volontaire, au sens que lui donne Monsieur de la Boétie dans son essai du même nom, volontaire et envahissante.  Toute ma compassion, mes frères !

Une heure plus tard, après un déjeuner somme toute acceptable servi par de jeunes robotes bien formatées, je repars vers le centre ville.  Ma destination ? Rien moins que l'
Abbaye Royale un imposant monument historique qui, entre autres, héberge des pèlerins.  Il est presque 14H00.    
Abbaye royale de Saint-Jean d'Angély
Les photos ne sont pas de moi, mais récupérées sur internet.
Saint-Jean d'Angély est une petite ville avec un centre historique comptant
de nombreux bâtiments plus beaux les uns que les autres dont quelques superbes hôtels particuliers. 
Je fais le tour de la cour principale où rien n'indique où se rendre pour confirmer mon arrivée et récupérer les clés de ma chambre. Au bout d'un bon quart d'heure, quelque peu maugréant, je comprends enfin qu'il faut monter le bel escalier ci-dessus et se rendre au 2ème étage. C'est bien là ! Je suis le seul pèlerin du jour ! Je me rendrai compte un peu plus tard que la situation du bureau d'accueil était très bien expliquée sur le portail d'entrée, coté l'extérieur. Mea culpa....

Une jeune femme très sympathique m'acompagne alors vers une annexe, beau bâtiment également, où je vais loger seul dans une chambre de belles dimensions à 2 lits, avec une salle de bains impeccable et spacieuse, et pour un prix spécial «pèlerins» défiant toute concurrence.

En fn d'après-midid, je rejoins le centre-ville et la place du Pilori dont photo ci-dessus pour prendre un verre et quelques tapas avant le diner. Pour le diner, j'ai trouvé un restaurant de poissons, un vrai, avec des poissons et des fruits de mer frais et abordables. Familial, le servive y est chaleureux et efficace. Très bonne adresse, il vaut mieux réserver :
Le Mareyeur, 7 Place André Lemoyne.

Très bonne nuit ! Lever de bonne heure, car je dois prendre un train pour Niort et Saint-Maixent d'où je serai rapatrié à la maison en automobile avant mon nouveau départ pour Bilbao, prévu pour la nuit du 30 août en autocar à partir de Saintes. Petit tour du marché, très animé, seul endroit où l'on peut prendre un petit déjeuner à 8H00. Ambiance garantie ! Puis vingt minutes de marche pour aller à pied jusqu'à la gare.
Fin des étapes 3 et 4
(1) «Les Templiers occupèrent pendant une dizaine d'année et ce, à la fin du XIlème siècle, la forteresse de Trujillo, et que lorsque cette dernière fut remise aux chevaliers d'Alcantara en 1232 après la reconquête définitive de Trujillo, les frères du Temple conservèrent quelques biens»

(2)  «Nous avons d'ailleurs quelques documents qui relatent les conditions des prises de terre par les hommes du Temple.
Alcanèdre fut fondée en 1155 et dès 1164 nous savons que Pierre Atiz qui reçoit des vignes et des champs devra les entretenir ainsi que le pressoir».
Source des 2 citations : Laurent DAILLIEZ - Les Templiers et l'agriculture - 1981 /  NDR : Trujillo se situe 45 km à l'est de Cáceres. Je n'ai pas pu situer Alcanèdre (Alcantára ?) pourtant assurément à proximité, mais
Garrovillas, également cité dans l'ouvrage, n'est qu'à 35 km au nord de Cáceres.